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Simuler des interactions : quand l'informatique accélère la recherche de ligands

Rencontre avec Birgit Strodel, professeure à l’université de Düsseldorf et directrice d'institut au Centre de Recherche de Jülich (Allemagne), et Lucie Khemtemourian, directrice de recherche CNRS à l’institut de Chimie & Biologie des Membranes et des Nano-objets (CBMN) toutes deux associées au sein du projet Horizon Europe LIPAGG.

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Birgit Strodel est professeure à l'université de Düsseldorf, spécialisée en modélisation moléculaire, et est également la directrice par intérim d'un institut au Centre de Recherche de Jülich.

Elle est accueillie pour quatre mois à l'Institut de Chimie & Biologie des Membranes et des Nano-objets (CBMN) au sein de l’équipe de Sophie Lecomte et travaille en collaboration avec Lucie Khemtemourian, directrice de recherche CNRS, dans le cadre d’un nouveau projet financé par Horizon Europe, baptisé LIPAGG.

  • Vous parlez toutes les deux de peptides ou protéines amyloïdes, mais comment vous êtes-vous rencontrées ?

Lucie : En 2018, je suis allée à Miami pour donner une conférence. A l'issue de ma présentation, des collègues m'ont suggéré de contacter Birgit, car son expertise en modélisation des peptides amyloïdes pouvait m'aider à avancer. Elle a immédiatement répondu à mon courrier … et nous voilà sept ans plus tard, engagées dans un projet européen, toujours heureuses de nous retrouver régulièrement.

  •  Birgit, pouvez-vous nous expliquer en quelques mots en quoi consiste votre travail ?

 Birgit : Je suis spécialiste de dynamique moléculaire. Cela consiste à modéliser, c'est-à-dire à calculer à l'aide d'ordinateurs très puissants, les mouvements de molécules au cours du temps. Les films produits par le calcul permettent alors de visualiser au ralenti ce que doit être le déplacement des atomes des molécules pendant quelques microsecondes, avec une résolution temporelle de l'ordre de la femtoseconde. La simulation de dynamique moléculaire  nous aide à comprendre les phénomènes d'agrégation des peptides et des protéines amyloïdes, complétant ainsi les approches expérimentales.

Mais nos simulations ne se limitent pas à l'agrégation des protéines. La figure ci-dessous vous donne un aperçu des problématiques que nous abordons dans mon équipe : découverte de peptides inhibiteurs, modélisation de protéines et des membranes lipidiques, recherche d'enzymes capables de dégrader des polymères plastiques, …

  • Sur quoi porte votre collaboration ?

Lucie : Grâce à l'expertise de Birgit sur la modélisation moléculaire des peptides amyloïdes et la mienne sur les interactions entre membranes cellulaires et protéines amyloïdes, nous avons trouvé intéressant de monter un projet collaboratif sur cette thématique. Celui-ci vise à étudier les interactions entre membranes lipidiques et le peptide IAPP exprimé naturellement par les cellules beta du pancréas et secrété en même temps que l'insuline. En l’absence de diabète de type 2, ce peptide, présent à l'état de monomère, n'est pas toxique pour les cellules. Dans le diabète de type 2, la surexpression de l’insuline entraîne une surexpression du peptide IAPP.  La formation d'agrégats peptidiques induit alors une toxicité cellulaire, touchant ici les cellules pancréatiques.

Afin de mieux comprendre ce processus d’agrégation, nous nous sommes attelés à partir de 2020 à construire un consortium européen impliquant des équipes universitaires italiennes, françaises, danoises, suédoises et allemandes ainsi que de nombreux partenaires industriels. Ce consortium se penchera non seulement sur l’IAPP impliqué dans le diabète de type 2, mais aussi les protéines amyloïde b et a-synucléine, impliquées respectivement dans la maladie d'Alzheimer et la maladie de Parkinson.

Restait à trouver des financements. Après plusieurs tentatives de candidatures infructueuses aux appels à projets européens, nous avons obtenu cette année un financement Marie Curie (MSCA du programme Horizon Europe). Ce qui a fait la différence cette fois-ci, c’est que nous nous sommes appuyés sur la Délégation Aquitaine du CNRS qui propose un accompagnement au montage de projet de recherche en coordination européenne. Grâce à ce soutien décisif, nous avons pu soumettre un dossier solide. En particulier, l’aide de Cécile Bacles, ingénieure de projets européens, a été précieuse pour coordonner le montage du projet, mettre en avant ses points forts et répondre au mieux aux attentes des instances évaluatrices.

Le projet LIPAGG démarrera en mars 2026 pour une durée de quatre ans et pour un montant total de 4,6 millions d’euros. Il réunit un consortium de 23 partenaires répartis dans 6 pays de l’UE que je coordonne. Il permettra de financer 15 thèses de recherche doctorale. Afin que les doctorants recrutés puissent bénéficier d'une formation large et internationale, ils feront une partie de leur doctorat dans plusieurs laboratoires partenaires du projet. Nous espérons que la perspective de cette expérience internationale les enthousiasmera, comme elle nous aurait enthousiasmées lorsque nous avions leur âge.

  • Auriez- vous un conseil à donner aux personnes qui souhaiteraient monter un projet au niveau européen ?

Lucie : Ce qui a aidé la construction de notre projet européen et qui nous a permis de former un consortium solide, c’est que nous nous connaissions tous très bien. Cela a facilité grandement la communication, ce qui a été fondamental dans le succès de notre candidature. On peut se dire les choses sans qu’il y n’ait de tension ou d’incompréhension car nous travaillons ensemble depuis longtemps. Cette familiarité entre les membres du consortium que nous avons formé est également importante pour la bonne marche du projet. Par exemple, le fait que nos futurs doctorants doivent effectuer leur thèse dans différents laboratoires européens partenaires n’est pas forcément très aisé à mettre en place administrativement et matériellement. Bien se connaître entre encadrants permet de simplifier l’opérationnalisation de ce dispositif.

Le second élément qui nous a permis d’obtenir ce financement, c’est la grande complémentarité des membres du consortium. Nous avons au sein du projet des experts de diverses thématiques et de techniques qui s’avèrent toutes essentielles à l’atteinte de notre objectif de recherche commun. Cette complémentarité des connaissances et des compétences est un atout majeur du projet LIPAGG.

  • Birgit, quel bénéfice tirez-vous de votre séjour de quatre mois au CBMN ?

Birgit : Ma présence au CBMN pendant plusieurs mois me permet de rencontrer de nouvelles personnes avec lesquelles des collaborations se mettront peut-être en place. J'ai ainsi fait la connaissance de Yann Fichou et de Marion Mathelié-Guinlet, tous deux chercheurs CNRS en biophysique au sein du laboratoire.

J'ai également pu participer à l'organisation du 7e symposium international sur les mécanismes pathophysiologiques des maladies amyloïdes qui s'est tenu à Bordeaux du 3 au 6 novembre 2025.

Je passerai les fêtes de fin d'année à Bordeaux avec ma famille, puis il me faudra retourner en Allemagne.

Lucie : Mais heureusement, les rencontres régulières dans le cadre du projet LIPAGG nous amèneront à nous retrouver souvent !

 

Interview réalisée par Claudine Boiziau et Clémence Faure

Crédit photo : Birgit Strodel et Lucie Khemtemourian