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Un métier, un portrait - Ctrl + Alt + Science : l’informatique avec beaucoup d’humain

Pour ce cinquième épisode, mise à l'honneur du métier de responsable système et ressources informatiques. Ordinateurs, logiciels, serveurs mais aussi intelligence artificielle et cybersécurité, les informaticiens font face à de nombreux défis technologiques, désormais devenus incontournables pour la recherche contemporaine. Ils sont des personnels supports précieux et indispensables aux avancées scientifiques. Rencontre avec Eric Roubin, assistant ingénieur Inserm au sein du service informatique de l'Institut Européen de Chimie et de Biologie (IECB).

Publiée le

Poste :  Responsable système et ressources informatiques - Assistant ingénieur, catégorie A

Lieu : Institut Européen de Chimie et de Biologie (IECB), 180 personnes, campus Brus

Employeur : Inserm

Arrivée : Assistant ingénieur depuis 4 ans, à l'IECB depuis 10 ans.

Personnel : BIATSS (bibliothèques, ingénieurs, administratifs, techniques et sociaux et de santé)

Eric Roubin est responsable système et ressources informatiques à l'Institut Européen de Chimie et de Biologie depuis 10 ans. Il décrit ici un métier qui nécessite une grande capacité d'adaptation, d'autonomie et de réactivité. Surtout, il montre en quoi les informaticiens ont à cœur de se mettre au service des équipes de recherche et des personnels d'appui afin que tous puissent travailler dans des conditions idéales pour la diffusion de la science et de la connaissance.

  • Vous travaillez à l'Institut de Chimie et de Biologie, qui est une entité de recherche un peu atypique. Pouvez-vous, pour commencer, nous expliquer comment fonctionne cette structure et où est-ce que vous vous situez dans son organisation ?

L'IECB est un incubateur d’équipes-projet réunissant des chimistes et biologistes que l'institut héberge de manière temporaire. La seule équipe permanente est le service support composé de l'administration, des plateaux techniques (microscopie électronique, RMN…), du service immobilier et du service informatique dont je fais partie. 

Cette équipe pérenne a pour mission d'assister des équipes de jeunes chercheurs qui sont recrutés sur un projet par une commission pour une durée pouvant aller de 6 à 10 ans. Ces équipes de recherche sont financées par les diverses tutelles (CNRS, université, Inserm...). A la fin de la période d'hébergement, les chercheurs quittent l'IECB pour intégrer un laboratoire de recherche.

Avec un ordinateur ordinaire on mettrait environ 20 jours pour traiter l'ensemble des données brutes nécessaires pour créer cette vue 3D quand, avec nos serveurs, il ne nous faut que 24 heures.

  • En quoi consiste le métier de responsable système et ressources informatiques ?

Je m'occupe de toute la partie informatique de l'IECB. Pour faire simple, je mets en place les outils pour que les usagers aient toujours accès à l'information et puissent la diffuser. Cette mission s’articule autour de trois volets : le support aux utilisateurs, l’administration des équipements systèmes et réseaux, et la prise en charge des tâches administratives liées à ses responsabilités.

Côté support utilisateurs, je gère à peu près 350 périphériques. Dans ce cadre, je suis au service de l'ensemble des équipes qui, dès qu'elles rencontrent une difficulté informatique (problème de connexion à l'Environnement Numérique de Travail, perte de données, oubli de mot de passe...). Elles peuvent me contacter via un ticket numérique. Dès que je le réceptionne, je fais le nécessaire pour les dépanner.

Je suis également chargé de l'installation des logiciels et des serveurs du site. Par exemple, si le plateau de microscopie électronique a besoin d'avoir un nouveau serveur de calcul, je suis celui qui conçoit la configuration et qui met en production la solution. Je veille aussi au bon fonctionnement de l’infrastructure.  Le cœur de notre architecture repose dans une salle sécurisée du site. On y trouve le système complet de gestion de l’information et un espace de stockage de données d’environ 2 Po. Cette infrastructure est cruciale pour la recherche à l’IECB : elle fournit la puissance de calcul nécessaire pour collecter, stocker et analyser les données, grâce à des logiciels spécialisés et à des cartes graphiques hautes performances.

C’est grâce à cet ensemble que nous pouvons traiter et conserver des centaines, voire des milliers d’images issues de nos microscopes électroniques, permettant ainsi des analyses précises et approfondies. C'est notamment le travail d'Axel Siroy, responsable technique de la plateforme de cryo-microscopie. Prises une à une ces images ne sont pas forcément exploitables : elles manquent de détails, elles sont floues, les données ne sont que partielles, les photographies manquent de contraste, il y a du bruit... Axel opère alors un traitement informatique, permis par le serveur, pour, tout d'abord, augmenter les détails, faire ensuite un tri entre les images pour ne conserver que les meilleures, et produire des modèles. Enfin, il obtient, à partir du réalignement des images, une vue 3D de la molécule qui devient alors exploitable et analysable via d'autres logiciels par les chercheurs. Avec les microscopes électroniques que l'on possède à l'institut, on produit entre 500 Go et 2 To de données par nuit. Avec un ordinateur ordinaire on mettrait environ 20 jours pour traiter l'ensemble des données brutes nécessaires pour créer cette vue 3D quand, avec nos serveurs, il ne nous faut que 24 heures. C'est comme si on avait relié entre eux plusieurs ordinateurs pour faire tourner le logiciel et les cartes graphiques. L’utilisation des cartes graphiques pour le calcul est une technologie relativement récente (2006). Nous avons commencé à l’exploiter depuis une dizaine d’années tout au plus. Bon pour l'informatique, 10 ans c'est quasiment un millénaire ! 

Enfin, je m'assure que le réseau fonctionne correctement et en particulier qu'il n'y ait pas d'attaques extérieures qui pénètrent notre système. Pour faire cela, je m'occupe de la sécurisation de l'ensemble des données que l'on a ici à l'Institut. A cette fin, nous avons des pares-feux qui protègent notre système et que je dois régulièrement mettre à jour pour qu'ils continuent d'être efficaces.

Du côté administratif, je me charge de la rédaction des processus informatiques et des tutos pour installer une imprimante, un logiciel... En bref, je gère toutes les FAQ (Foire aux Questions) concernant l'informatique. Je m'occupe également des devis auprès des fournisseurs matériels et logiciels en fonction des demandes. Des correspondants informatiques dans chaque équipe me transmettent leurs attentes et besoins. Avec leur aide, nous déterminons la solution la plus adaptée : je prépare les devis correspondants, et ils se chargent du suivi des commandes. Quand c'est l'Unité d'Appui et de Recherche (UAR) alors je m'en occupe moi-même. J'essaye de concentrer ces activités plus administratives sur un jour dans la semaine et en particulier le vendredi quand je suis en télétravail. Ces tâches demandent un peu de concentration. Or, quand je suis sur site, en raison de mes autres fonctions, je suis pas mal sollicité. Je préfère donc m'y atteler quand je ne suis pas en présentiel d'autant que ce sont des activités que l'on peut facilement gérer à distance.

En parallèle de ces missions, je suis aussi référent sécurité informatique de l'IECB. Le RSSI est la personne chargée de veiller à la sécurité des systèmes d’information. Ce n'est pas du salaire, mais je prends ça comme une reconnaissance ! Dans ce cadre, je suis le point de contact des chargés de sécurité informatique de nos tutelles. En cas de faille connue, ils nous demandent de mettre en œuvre les corrections nécessaires. De même, en cas d’attaque informatique, je dois informer les tutelles, qui relayent ensuite l’information à l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), laquelle diffuse les alertes à l’ensemble des organismes concernés.

Pour se rendre compte de l’ampleur de la menace, le pare-feu a bloqué 2 997 virus et 15 600 tentatives d’intrusion. Les tentatives d’hacking restent nombreuses, et, dans le contexte international actuel, elles sont plus fréquentes. Nous ne sommes jamais totalement à l’abri.

  • Quel parcours vous a amené à devenir informaticien ?

J'ai passé en 1994 un Baccalauréat Professionnel qui s'appelait à l'époque " Maintenance et Réseaux de Bureautique et de Télématique". C'était les premiers bacs pros en informatique. Une fois diplômé, j'ai été recruté à l'Assedic (aujourd'hui devenu France Travail). Puis, je suis parti au Gabon, et là j'ai eu de multiples vies, la plupart éloignée de mon domaine de formation. J'ai été responsable d'atelier, technico-commercial, ingénieur informatique en freelance, et même guide de pêche ! Je suis revenu en France en 2008. J'ai alors décidé de revenir à l'informatique. Pour me remettre à niveau j'ai fait une formation "technicien supérieur informatique et réseau" à l'Association pour la formation professionnelle des adultes (Afpa). J'ai d'abord trouvé un poste contractuel à l'Institut de Santé Publique, d'épidémiologie et de Développement (Isped) au sein du service support informatique. Un concours Inserm s'est ouvert et c'est comme cela que j'ai intégré l'IECB. J'y ai commencé comme technicien. A l'époque j'avais un collègue ingénieur d'études qui travaillait avec moi mais il a fini par partir à l'université des Pays de l'Adour. Il devait être remplacé mais comme le poste restait vacant, cela a participé entre autres à mon passage en assistant ingénieur (AI).

De prime abord, on pourrait penser que les informaticiens sont des ours, mais en fait c'est un métier très relationnel !

  • Quels sont les aspects que vous aimez le plus dans votre métier ?

J'aime beaucoup les relations avec les gens. De prime abord, on pourrait penser que les informaticiens sont des ours, mais en fait c'est un métier très relationnel ! Il m'a permis de rencontrer des gens, de me confronter à des domaines divers et de découvrir des façons de pensée différentes. En plus, 99% du temps tout se passe bien avec les utilisateurs et les équipes. 

Aussi, avec mon intégration au réseau RAISIN, j'ai pu rencontrer et échanger avec des informaticiens des établissements du campus aquitain. Cela me plaît de pouvoir discuter avec des collègues mais aussi de m'informer et de me former aux dernières innovations de mon domaine.

  • Le réseau RAISIN ? Vous pouvez en dire un peu plus ?

RAISIN est l'acronyme pour "Réseau Aquitain des Informaticiens Systèmes INter-établissement". Il vise à regrouper toutes les personnes exerçant des fonctions d’administration système et réseau dans le contexte enseignement supérieur et recherche de la Nouvelle-Aquitaine. Il y a le CNRS, l'Inserm, l'INRAE, les différentes universités de Nouvelle-Aquitaine (La Rochelle, Bordeaux, les Pays de l’Adour…), etc. C'est un groupe de travail à la fois d'entraide, de formation et de discussions. Par exemple, si demain j’ai besoin d’acheter une solution informatique et que j’ai des doutes sur mon analyse des besoins, je peux compter sur leur expertise. Ils me conseilleront sur la configuration la plus adaptée à mon usage. Je pourrai également savoir s’ils ont déjà testé ces solutions ou si elles sont actuellement en production chez eux. Comme on est un peu tous éparpillés, cela permet de créer un sentiment de communauté, de bénéficier d'un support dans nos activités mais aussi cela nous apporte des formations essentielles aux évolutions technologiques de notre domaine.

La dernière rencontre du réseau a été ainsi sur le thème de l'intelligence artificielle (IA) : comment l'installer, comment l'utiliser... C'est un sujet d'actualité dans nos structures car l'usage actuel et futur de l'IA par les chercheurs nécessite qu'on réfléchisse parallèlement, en tant qu'informaticiens, à la protection des données que l'on donne à l'IA et qu'elle génère. A l'IECB, on a des recherches qui ont besoin de confidentialité car nos équipes déposent des brevets. Or, utiliser ChatGPT, Microsoft Copilot ou Google Gemini est risqué niveau protection des données de la recherche. Lorsqu’une donnée ou un concept est soumis à une intelligence artificielle, le cadre juridique autour des droits de propriété intellectuelle sur les résultats générés reste flou. Lorsqu’une chanson est générée par ChatGPT à la demande d’un utilisateur, la question se pose : cette création tombe-t-elle automatiquement dans le domaine public ? C'est le risque pour les données scientifiques. La France et l'Europe sont en train de mettre en place des législations pour encadrer l'utilisation de l'IA mais le temps que cela s'applique on se doit aussi d'ores et déjà de réfléchir, à notre niveau, à des choses à faire. D'autant que l'IA est un outil tellement puissant, qui fait gagner tellement de temps, qu'on sera et qu'on est déjà confronté à des demandes d'utilisation. C'est vraiment un gros chantier. Du côté de l'IECB, on attend déjà de voir ce que nos tutelles mettent en place, en particulier le CNRS et l'université qui ont des capacités de calcul bien supérieures aux nôtres. On va donc attendre de voir comment elles se positionnement pour savoir comment procéder.

  • Rencontrez-vous parfois des difficultés dans votre travail ?

Régulièrement ! L'informatique c'est tellement vaste ! Je suis souvent confronté à des thématiques que je ne connais pas forcément. En plus, c'est un domaine en perpétuelle évolution. Il faut rester vigilant et informé sur les dernières innovations. 

Pour surmonter ces difficultés, je m’appuie sur différents moteurs de recherche et m’engage dans un processus continu de formation et d’autoformation. Je sollicite également les ressources de nos partenaires et de mon réseau. Depuis mes débuts à l’IECB, où j’ai noué des amitiés avec des informaticiens, je n’hésite pas à les consulter. Par ailleurs, je pratique une veille quasi permanente pour rester à jour. Le matin, dès que j'arrive je regarde mes mails et directement après, je scrute ce qui se fait de nouveau : qu'est-ce qu'il y a comme nouvelles techniques, comme nouveaux logiciels. En tant que référent en sécurité informatique, je consulte régulièrement les nouvelles publications de l’ANSSI pour identifier d’éventuelles failles dans mon environnement informatique et savoir comment les corriger. Nos tutelles (UB, CNRS, INERM…) m’informent régulièrement des dernières actualités en matière de cybersécurité, comme les campagnes de phishing. Tout ça pour rester vigilent et réactif.

Chaque cas et difficultés sont différents, il faut donc savoir s'adapter et trouver les bons canaux pour résoudre le plus efficacement et le plus rapidement possible les problèmes.

Après, il peut aussi y avoir des anicroches avec des usagers. Toutefois, non seulement j'ai assez d'expérience pour arrondir les angles mais également, dans la très grande majorité des cas, cela finit toujours par s'arranger. C'est normal d'être un peu stressé et peu patient quand on croit avoir perdu les données de ses recherches ou que votre ordinateur lâche alors que vous devez rendre le lendemain un article, une thèse ou un rapport financier. 

C'est normal d'être un peu stressé et peu patient quand on croit avoir perdu les données de ses recherches ou que votre ordinateur lâche alors que vous devez rendre le lendemain un article, une thèse ou un rapport financier. 

  • Et dans 10 ans, vous vous voyez où ?

Si tout va bien je ne serai pas loin de la retraite ! Plus sérieusement, je me vois toujours à l'IECB. Je me sens bien ici. Mon travail est hyper intéressant car très varié. J'aimerais par contre passer au grade ingénieur d'études. Je suis d'ailleurs en train de préparer les entretiens. Je voudrais aussi avoir un collaborateur qui viendrait compléter mes connaissances. Ce serait bien qu'il y ait un technicien ou même un collègue informaticien spécialiste en développement informatique et donc capable, par exemple, d'écrire des programmes pour le site internet de l'IECB. Cela permettrait d'avoir un service informatique avec une compétence beaucoup plus large et une autonomie plus grande.

  • Qu’est-ce que le département STS vous apporte au quotidien ?

L’Unité d'Appui et de Recherche (UAR 3033/US001) fait partie du département STS. J'ai des collègues informaticiens avec qui j'interagis qui font partie aussi du département - l'Institut de Chimie & Biologie des Membranes et des Nano-objets (CBMN) en particulier. Après, pour être honnête le département n'est pas trop présent dans mes tâches au quotidien. Je connais bien l'ancien directeur Gilles Guichard, dont l'équipe est basée ici, ainsi que la directrice adjointe actuelle du département STS, Marie-Christine Durrieu.

  • Et pour terminer, une anecdote à partager ?

Lors de mon premier jour de travail à l'Isped, une chercheuse nous avait appelés car elle avait perdu toutes les photos de ses recherches. Elle était désespérée car cela représentait quand même 15 ans de son travail. Comme ses photos étaient confidentielles, elle avait estimé qu'il ne fallait pas faire de copies ou les mettre sur un autre ordinateur. Il n'y avait donc aucune sauvegarde et c'était un vrai enjeu pour elle. Quand j'ai commencé à me mettre à son ordinateur, comme elle était très stressée, elle m'a sauté dessus. Elle m'a arraché l'ordinateur et elle s'est mise à pleurer. J'ai été obligé d'aller voir ma direction car là, sans sa coopération, je ne pouvais rien faire pour l'aider ! En plus, en l'occurrence, ses données pouvaient être récupérées relativement facilement mais elle était tellement paniquée que je ne suis pas parvenu, à ce moment-là, à la raisonner. Cela montre à quel point l'informatique peut provoquer des émotions fortes !

 

 

Interview réalisée par Alexandra Prévot et Clémence Faure

Crédits photo - Clémence Faure, département STS, université de Bordeaux / Institut Européen de Chimie et de Biologie