Aller au contenu

Une histoire d’amitié autour du diabète

Interview de Benoit Hastoy et de Matthieu Raoux dans le cadre de leur collaboration sur le diabète.

Publiée le

Dans le cadre de l’AAP « Mobilité entrante courte », Benoît Hastoy (Université d’Oxford) et Matthieu Raoux (Université de Bordeaux) ont consacré un peu de leur temps, entre deux analyses, pour évoquer leur thématique de recherche sur le diabète.

  •  Pourriez-vous vous présenter tous les deux en quelques mots ?

Matthieu Raoux, Professeur à l’Université de Bordeaux et chef de l’équipe Biologie Cellulaire & Biocapteurs à l’institut de Chimie et Biologie des Membranes et des Nano-objets (CBMN).

Nous avons déjà eu l’occasion d’échanger avec Matthieu sur ses thématiques de recherche dans un précédent article.

Benoît Hastoy est Diabetes UK R.D. Lawrence Fellow et Principal Investigator (équivalent de directeur de recherche) à l’Oxford Centre for Diabetes, Endocrinology and Metabolism (OCDEM). Il est aussi directeur scientifique du Centre pour l'Intelligence Artificielle dans la Médecine de Précision (CAIPM). En quelques mots, Benoît a réalisé son parcours universitaire à Bordeaux où il a commencé par se former en physiologie et physiopathologie cellulaire. Il a réalisé son Master 2 puis sa thèse dans l’équipe de Jochen Lang au sein du CBMN où il travaillait sur les mécanismes de l’exocytose de l’insuline. Ce projet en étroite collaboration avec des biophysiciens (Prof Reiko Oda et Prof Bernard Desbat) a été important dans le développement de sa vision pluridisciplinaire de la recherche.

Benoît : « A l’issue de ma thèse lors d’une conférence européenne, j’ai rencontré Prof. Patrik Rorsman, une personne très renommée dans notre domaine et qui allait devenir mon futur superviseur en post-doctorat à Oxford. C’est une chance inouïe que j’ai eue mais dont je n’avais pas réellement conscience à l’époque. J’ai commencé en mars 2012 à Oxford dans le domaine de la physiologie des îlots pancréatiques où j’ai appris l’électrophysiologie. Puis j’ai voulu me diversifier lors d’un second post-doctorat, toujours à Oxford, dans le domaine de la génétique du diabète sous la direction de Prof Anna Gloyn.

En 2019, j’ai obtenu une bourse prestigieuse de 5 ans qui s’appelle le R.D. Lawrence Fellowship qui est subventionnée par le Diabetes UK (une association fondée par les patients qui souffrent du Diabète). Ce fellowship m’a permis de démarrer mon équipe à Oxford en couvrant mon salaire et celui d’une ingénieure de recherche, ainsi que l’achat de consommables pour nos expériences.

Depuis un an et demi, je suis directeur scientifique d’un consortium interdisciplinaire basé à Oxford qui regroupe des experts en chimie, en génétique et en intelligence artificielle. Ce nouveau rôle m’a donné l’opportunité de recruter un postdoc dans mon équipe. Nous sommes 5 équipes de recherche, environ une trentaine de personnes, qui développont des petites molécules contre des cibles moléculaires identifiées par intelligence artificielle comme pouvant jouer un rôle dans le développement du diabète chez les patients. Ce projet est aussi en étroite collaboration avec l’Arabie Saoudite où la prévalence du diabète atteint des proportions particulièrement inquiétantes. Nous y développons, en collaboration avec les cliniciens sur place, la collection d’échantillons biologiques afin d’identifier des gènes et des protéines associés au diabète spécifiques à cette population. »

  •  Quel a été l'élément déclencheur de votre collaboration ?

Matthieu : « Nous nous sommes connus dans l’équipe Jochen Lang (CBMN). J’étais post-doc et Benoît en M2 puis doctorant. Nous avons gardé le contact pendant plusieurs années, sans collaborer directement. Au départ de notre collaboration, c’est notre amitié et bien sûr la mise en commun de nos expertises ».

Matthieu a développé, par des travaux transdisciplinaires, des capteurs bio-électroniques qui permettent de mesurer, d’amplifier et d’analyser en temps réel de manière non invasive et sur le long terme (heures, jours, semaines) l’activité électrique à la fois cellulaire et multicellulaire des îlots pancréatiques, micro-organes clés dans la régulation glycémique et le diabète. Ces systèmes sont uniques au monde dans le champ de la diabétologie. Benoît a gardé en mémoire cette technologie développée au sein de l’équipe de Jochen Lang.

« Nous avons pensé que la technique développée par Matthieu et Jochen à Bordeaux pourrait être extrêmement utile et apporter un autre angle à mes activités de recherche à Oxford  ».

  • Parlez-nous de votre projet qui a abouti à cette publication « Electrophysiological characterisation of iPSC-derived human βlike cells and an SLC30A8 disease model. »

Benoît : « Le groupe dans lequel je travaillais (dirigé par Prof Anna Gloyn) utilisait des cellules souches humaines différenciées en cellules β, les cellules sécrétrices de l’insuline. Ces modèles cellulaires sont très compliqués à générer et leurs utilisations fonctionnelles restaient extrêmement limitées à l’époque. Nous avions généré pour un projet précèdent des cellules bêta dont l’expression du gène SLC30A8 était abolie mais n’avions pu utiliser ce modèle cellulaire plus en détails par manque de moyens techniques. L’approche développée par Matthieu et Jochen me semblait très complémentaire de ce que l’on faisait à Oxford et pouvait apporter des mesures qui permettraient de mieux comprendre les propriétés fonctionnelles associées au gène SLC30A8. »

Matthieu : « En 2018, nous avons commencé notre collaboration en réalisant une campagne de mesures à Oxford et à Bordeaux. Nous avons ensemble obtenu une bourse de voyage auprès de la fondation européenne pour la recherche sur le diabète (EFSD) afin que mon étudiante en thèse, Manon Jaffredo, puisse aller à Oxford avec le matériel pour réaliser les mesures d’activité électrique sur ces cellules. Nous avons notamment pu montrer que l’altération de l’expression du gène SLC30A8 améliorait les performances globales des cellules bêta jouant sur plusieurs propriétés. Au-delà de l’aspect scientifique, ça a été un long travail et nous avons fait face a beaucoup de difficultés conjoncturelles qui auraient pu terminer le projet prématurément (notamment le COVID, ou le déménagement de Prof. Anna Gloyn à Stanford). C’est pour cela que nous sommes très heureux d’avoir pu publier cet article il y a quelques semaines en tant que co-derniers auteurs dans Diabetes, un journal de référence dans le domaine du diabète (https://doi.org/10.2337/db23-0776). »

  • Avez-vous identifié de futures collaborations au sein du département STS et/ou d'autres départements de l'université de Bordeaux ?

Matthieu : « Je collabore beaucoup avec d’autres départements au travers de l’ANR : Integration from Material to Systems (IMS) concernant le traitement du signal, le Laboratoire de Chimie des Polymères Organiques (LCPO) ou encore l’Institut des Sciences Moléculaires (ISM) concernant l’électrochimie. Au sein du département STS, mon groupe a des convergences avec l’IHU Lyrics concernant l’électrophysiologie. La visite de Benoît permettra éventuellement d’établir de nouvelles collaborations entre des laboratoires du Département STS et l’Université d’Oxford. »

  • Avez-vous un message à transmettre aux étudiants pour les attirer dans la recherche ?

Matthieu : « Lors de vos stages, il faut être impliqué, dynamique, enthousiaste ! N’hésitez pas à être dans l’échange et le partage avec vos collègues de travail. Et surtout gardez contact avec vos encadrants, collègues… cela pourra aboutir à une collaboration dans le futur ! »

Benoît : « Je suis totalement d’accord avec Matthieu. J’ai fait des erreurs par manque de maturité qui n’ont pas rendu justice à mon implication et ma compréhension du sujet de master 2. Ces erreurs ont beaucoup affecté ma note finale de master et ma préparation au concours de l’école doctorale. J’ai eu la chance que, dans mon travail et dans attitude de tous les jours au labo, Jochen Lang ait vu mon potentiel et il a été déterminant dans mes choix de carrière qui ont suivis.

Il peut y avoir beaucoup de frustrations dans la Recherche car les choses ne marchent pas comme dans les livres. Il faut toujours y croire et être volontaire car les connaissances s’acquièrent mais les solutions se trouvent avec la persévérance. Ne pas lâcher ! C’est le conseil que je donnerais aux étudiants »

Ne pas lâcher ! C’est le conseil que je donnerais aux étudiants

Interview réalisée par Estelle Morvan

Crédits photo - Estelle Morvan