En quelques lignes, quel est votre parcours et votre identité scientifique ?
Je suis un électrophysiologiste (étude de l’activité électrique dans les cellules) issu des Neurosciences. Après un DEA à Marseille puis un DESS à Paris 7, j’ai effectué une Thèse de Neurosciences à Marseille (2004-2008) au sein de l’Equipe « Canaux ioniques » du Dr Patrick Delmas (CRN2M, UMR CNRS 7286). C’est une équipe de premier plan en électrophysiologie qui collabore notamment avec le Prix Nobel 2021 de Physiologie et de Médecine, le Dr Ardem Patapoutian.
J’ai ensuite rejoint l’équipe du Pr Lang à Bordeaux en 2008 comme postdoc, puis comme Maître de Conférences en 2011, en réalisant un changement thématique complet pour travailler dans un projet transdisciplinaire (i.e. physiologie, microélectronique, chimie, électrochimie, science des matériaux, microfluidique, clinique) sur des micro-organes fascinants et vitaux : les îlots pancréatiques de Langerhans. Ces micro-organes, qui ne représentent que 1-2% du pancréas, jouent un rôle central dans l’homéostasie nutritionnelle et dans ses dérégulations dans le diabète, une pathologie qui touche >5% de la population.
Pourriez-vous nous évoquer votre thématique de recherche au sein du département ? Comment interagissez-vous avec d'autres unités et /ou équipes de recherche du département ?
J’ai développé, par des travaux transdisciplinaires, des capteurs bio-électroniques qui permettent de mesurer, d’amplifier et d’analyser en temps réel de manière non invasive et sur le long terme (heures, jours, semaines) l’activité électrique à la fois cellulaire et multicellulaire des îlots pancréatiques. Ces systèmes sont uniques au monde dans le champ de la diabétologie. J’utilise pour cela des matrices multi-électrode extracellulaires, au sein de systèmes microfluidiques, couplées à des circuits microélectroniques développés avec nos partenaires du laboratoire IMS UMR CNRS 5218 (groupe ELIBIO, Bordeaux Institut National Polytechnique). Ces biocapteurs ont permis à la fois : (i) de mieux comprendre la physiologie et la physiopathologie de ces micro-organes en établissant des concepts nouveaux sur leur fonctionnement en conditions normales et pathologiques, (ii) d’analyser le rôle fonctionnel de mutations pertinentes par exemple dans des îlots dérivés de cellules souches pluripotentes humaines après édition génomique, (iii) et des applications en diabétologie comme le contrôle qualité fonctionnel des îlots avant transplantation chez les patients diabétiques de type 1ou encore le développement d’un pancréas hybride bio-électronique.
Un exemple de transdisciplinarité de notre recherche est le fait qu’au laboratoire nos doctorants n’ont pas uniquement un profil de biologiste dépendant de l’Ecole Doctorale (ED) SVS, mais ce sont parfois des doctorants avec d’autres profils affiliés à l’ED des Sciences Chimiques (travail sur des polymères conducteurs que nous mettons sur les électrodes) et des Sciences Physiques et de l’Ingénieur (microélectronique). Notre recherche démontre également l’ouverture du département vers les autres départements de l’UB, vers d’autres laboratoires en France et à l’étranger, et donc un rayonnement de l’équipe, du laboratoire et du département STS « en dehors de ses murs ».
Lauréat du prix Auguste Loubatières, pourriez-vous nous en parler en quelques mots?
La Société Francophone du Diabète regroupe les chercheurs et cliniciens francophones qui travaillent sur le diabète en France, mais également en Belgique, en Suisse, au Canada ou dans les pays d’Afrique francophone. Ses congrès annuels regroupent plus que 4000 chercheurs, cliniciens et industriels chaque année. Il s’agit d’une des grandes sociétés savantes de la discipline au niveau mondial.
Ce prix Auguste Loubatières récompense chaque année un clinicien ou un chercheur de moins de 45 ans pour un ensemble de travaux ou une découverte qualifiés de particulièrement remarquables dans le domaine du diabète ou des maladies métaboliques. J’ai reçu ce prix le 24 mars 2022 à Nice lors du congrès annuel de la société savante. Cela a été l’occasion d’effectuer une conférence plénière sur l’ensemble de nos travaux : https://www.sfdiabete.org/medical/la-recherche/appels-candidature/prix-auguste-loubatieres.
Quel a été le processus pour candidater à ce prix ?
Je venais de passer mon HDR, j’avais quelques publications importantes sur cette approche originale sur les îlots pancréatiques. Je me suis dit que c’était peut-être le bon moment pour tenter ma chance. Mes deux parrains, Miriam Cnop (Université Libre de Bruxelles, ULB Center for Diabetes Research) et Raphaël Scharfmann (Institut Cochin) ont soutenu ma candidature. Les lauréats du prix depuis 2013 étaient tous Directeurs de Recherche ou Praticiens Hospitaliers, je n’étais pas certain de mes chances, mais finalement je suis le premier MCU à avoir été récompensé.
Pourriez-vous nous décrire votre projet « le langage électrique des îlots : décryptage et exploitation avec des capteurs bioélectroniques » ?
Figure : Développement transdisciplinaire des capteurs bio-électroniques et exploitation en diabétologie. Après une prise alimentaire, les nutriments, mais aussi des hormones libérées par l’intestin et des neuromédiateurs, stimulent les îlots du pancréas. Ces micro-organes composés de différents types cellulaires, dont les principaux sont les cellules β à insuline et α à glucagon, intègrent toutes ces informations pour sécréter à chaque instant les quantités adaptées d’hormones endocrines régulant la glycémie. Ce processus met en jeu la genèse de signaux électriques complexes et multicellulaires. Des capteurs bio-électroniques ont été développés de manière transdisciplinaire à Bordeaux au travers de plusieurs brevets et publications. Ils sont basés sur des matrices de microélectrodes extracellulairesen microfluidique couplés à des systèmes d’analyse microélectronique en temps réel. Ces capteurs ont permis la genèse de nouveaux concepts fondamentaux, l’analyse de l’impact fonctionnel de mutations, ainsi que des applications concrètes en diabétologie.
L’activité électrique joue un rôle pivot entre les stimuli que reçoivent les îlots et la sécrétion des quantités d’hormones adaptées à chaque instant.
Nous avons réussi avec nos capteurs bioélectroniques à mesurer et à analyser en temps réel ces signaux électriques complexes. Parmi eux, j’ai découvert des signaux multicellulaires qui rendent compte non seulement de l’activité des cellules β mais aussi de leur niveau de couplage : les Slow Potentials. Nous avons montré que leur fréquence (niveau d’activité des cellules β) et leur amplitude (niveau de couplage) encodaient précisément la cinétique de la sécrétion d’insuline, et notamment un phénomène retrouvé dans plusieurs autres glandes et jusqu’à présent très mal compris : la sécrétion d’hormone en 2 phases. Ce phénomène fondamental pour le contrôle de la glycémie dont l’origine précise demeurait inconnue depuis une cinquantaine d’année est dû à un phénomène électrique multicellulaire que nous avons caractérisé.
Cette activité électrique peut aussi être exploitée : pour contrôler la qualité des îlots ou de pseudo-îlots (issus de cellules souches) avant une greffe ou pour caractériser l’impact d’une mutation (protectrice ou dététère) sur la fonction des îlots. Une autre application possible est le développement d’un pancréas bio-électronique : une puce contenant quelques îlots mesure les signaux électriques et contrôle en temps réel une pompe à insuline chez le patient. Nous avons validé un tel dispositif pour l’instant in vitro, in vivo chez le rongeur mais aussi in silico chez l’Homme dans un simulateur de patients diabétiques agréé par la Food and Drug Administration américaine.
Une des identités et forces du département STS est l'interdisciplinarité, est-ce que vous pourriez nous en donner quelques exemples dans votre quotidien de recherche?
La présence d’étudiants au laboratoire avec un profil multidisciplinaire et dépendant des 3 ED du département : biologie, chimie, physique.
Par exemple dans le projet que je porte actuellement : un système multi-organe sur puce dédié à la diabétologie avec les 4 grands organes impliqués dans l’homéostasie du glucose : îlots, foie, muscles, tissus adipeux.
J’ai obtenu une thèse interdisciplinaire du collège des ED de Bordeaux (co-dir S Renaud, IMS UMR 5218). Il faut dans ce projet des compétences en biologie cellulaire, physiologie, science des matériaux, microfluidique, capteurs, microélectronique et diabétologie : c’est par conséquent parfaitement transdisciplinaire.