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Un métier, un portrait - L'art de la méthode scientifique

Second épisode consacré aux ingénieurs de recherche en laboratoire, rouages indispensables à la bonne conduite des projets scientifiques. Rencontre avec Murielle Rémy, ingénieure de recherche à l'Institut de Chimie et Biologie des Membranes et des Nano-objets (CBMN).

Publiée le

Poste : Ingénieur de recherche en sciences du vivant - catégorie A

Lieu : Institut de Chimie et Biologie des Membranes et des Nano-objets (CBMN), 200 personnes, Campus Bordes, Pessac

Employeur : université de Bordeaux

Arrivée : Ingénieure depuis 2006, au CBMN depuis 2020

Personnel : BIATSS (bibliothèques, ingénieurs, administratifs, techniques et sociaux et de santé)

Murielle Rémy est docteure en biologie et ingénieure de recherche (IGR) en laboratoire depuis 18 ans. Au CBMN depuis 4 ans, elle décrit en quoi consiste ses missions au sein de l'équipe BIOdevices, BIOmaterials & BIOengineering (3 BIO's). De l'expérimentation, à la formation des étudiants, en passant par l'investissement pour la communauté universitaire, elle révèle ce qui se cache derrière les métiers de l'ingénierie scientifique.

  • En quoi consiste le métier d'ingénieur de recherche ?

Le cœur de mon métier c'est la conduite de recherche en laboratoire c'est-à-dire que je dois utiliser, et donc me former, à toute une série de techniques différentes dans le but de répondre à une question scientifique donnée. Autrement dit, je suis chargée de seconder techniquement les chercheurs de mon équipe dans les projets qu'ils dirigent.

Les travaux menés au CBMN sont à la croisée de la chimie et de la biologie. Si je suis biologiste de formation je suis donc amenée à travailler en synergie avec des collègues chimistes. On n'intervient d'ailleurs pas uniquement sur un seul projet, quand bien même, en tant qu'IGR, on est censé avoir un projet phare. Dans les faits, on peut se retrouver à collaborer sur 6 ou 7 recherches à la fois au sein desquelles chacun amène ses compétences disciplinaires propres.

Ces collaborations régulières avec des chimistes m'apportent des connaissances supplémentaires qui enrichissent mon expertise scientifique et inversement je leur transmets mes savoirs. 

J'ai eu la chance de croiser sur ma route des encadrants, des chefs et des collègues qui m'ont inspirée, motivée à toujours aller plus loin et m'ont donné ma chance.

  • Dans la pratique, quelles sont vos missions au quotidien ?

Dans mon équipe, mon activité d'ingénieure se décline en trois grandes missions principales.

La première, la plus évidente, est la mise en œuvre d'expérimentations scientifiques. J'élabore techniquement des expériences. Je compulse la documentation, je cherche les outils adéquats, j'étudie les réactifs à utiliser, etc. Ces expériences ont vocation à me faire obtenir des résultats que je m'attèle ensuite à interpréter. Enfin, je les confronte avec les données obtenues par d'autres équipes dans le monde qui travaillent sur des thématiques similaires ou sur des projets connexes.

Ma deuxième mission - celle qui m’enthousiasme particulièrement - est de former les plus jeunes aux méthodes de la recherche en laboratoire. Qu'ils se destinent à devenir des chercheurs, des ingénieurs ou encore des techniciens, j'ai vraiment à cœur de les pousser pour tirer le meilleur d'eux-mêmes dans le cadre de leur stage, de leur mémoire ou de leur thèse. J'ai eu également la chance de faire découvrir le métier à des collégiens et des lycéens ce qui m'a beaucoup plu.

En parallèle de cette formation aux techniques scientifiques, je peux également, en tant qu'ingénieure, assurer des activités d'enseignement notamment en lien avec le projet principal sur lequel je m'investis depuis plusieurs années et grâce auquel j'ai développé une forte expertise. Ces enseignements peuvent prendre la forme de cours magistraux, de travaux dirigés ou encore de conférences. 

Une dernière mission qui me paraît aussi fondamentale, c'est celle qui consiste à s'investir pour la collectivité. Par collectivité, je n'entends pas uniquement l'équipe ou le laboratoire mais la communauté universitaire. Pour moi, donner de mon temps et de mon énergie pour ce type d'actions fait partie intégrante de ma fonction.  J'ai ainsi participé au groupe de travail budget du département STS jusqu' en juillet 2020 et je suis actuellement membre suppléante de son conseil.

  • Quelles études avez-vous faites pour devenir ingénieure de recherche et quel est votre parcours professionnel ?

Après un Bac scientifique (D orienté sciences naturelles), j'ai souhaité faire des études courtes. J'ai donc opté pour un IUT en analyses biologiques et biochimiques à Angers. Mon diplôme en poche, mes professeurs m'ont incitée à poursuivre mes études. Sur leurs conseils, je suis entrée à l'université de Bordeaux (Bordeaux 1 à l'époque) où j'ai obtenu un DEA en immunologie des invertébrés. J'ai voulu ensuite continuer en thèse sur la question des prothèses vasculaires sous la direction du Pr. Laurence Bordenave, spécialisée en biophysique et en médecine nucléaire. J'ai réalisé mon doctorat en 6 ans car, pour financer ma thèse, je travaillais à côté comme technicienne de nuit au service des urgences de l’Établissement français du sang.

Une fois docteure, Laurence m'a poussée à faire un post-doctorat que j'ai effectué dans un laboratoire à Québec au sein duquel je suis restée 4 ans. De retour en France, j'ai trouvé une place dans un laboratoire privé qui m'a proposé un poste pérenne mais j'ai finalement préféré passer les concours de la fonction publique pour devenir ingénieure de recherche, concours que j'ai obtenu en 2006. J'ai alors pris mes premières fonctions au sein du laboratoire Bioingénierie Tissulaire et Cellulaire (BioTis) à Bordeaux.

A partir de 2017, j'ai ressenti le besoin d'évoluer vers de la recherche plus fondamentale et surtout de me renouveler professionnellement. En tant que personnel de l'université, nous avons accès au service mobilité carrière qui m'a beaucoup soutenu dans mes démarches. Grâce à leur accompagnement, j'ai obtenu en 2020 une mutation vers le CBMN.

Finalement, j'ai eu un parcours un peu chaotique mais j'ai eu la chance de croiser sur ma route des encadrants, des chefs et des collègues qui m'ont inspirée, motivée à toujours aller plus loin et m'ont donné ma chance. Ils m'ont offert des opportunités professionnelles qui ont toutes contribué à construire mon parcours et mon expertise. Être aujourd'hui à l'université représente pour moi un véritable accomplissement tant professionnel que personnel.

Faire partie du département, c'est une fenêtre ouverte sur le fonctionnement de notre université.

  • Quels sont les aspects que vous aimez le plus dans votre métier ?

Ce qui me plaît particulièrement dans mon travail c'est de pouvoir centrer mon intérêt sur un projet phare. Comme je le disais, je collabore à pleins d'autres travaux de recherche au sein de mon équipe mais je peux quand même me consacrer à un sujet principal sur lequel je mets toute mon énergie, et cela en toute autonomie. Se confronter en profondeur à une thématique, travailler la bibliographie, creuser la méthodologie pour trouver les meilleurs outils au service de l'équipe et du projet de recherche pour lequel je travaille, sont vraiment les aspects du métier qui me plaisent le plus. 

La polyvalence disciplinaire est également une dimension qui me satisfait : je peux passer de la biologie moléculaire à la biologie protéomique (analyse des protéines) en passant par la culture cellulaire, ce qui fait que mes journées ne se ressemblent jamais !

Travailler avec les plus jeunes m'épanouit aussi beaucoup. Si je n'ai pas pu devenir maîtresse de conférence, reste que d'avoir pu former des étudiants que ce soit en laboratoire ou en cours via notamment le master Biomatériaux et Dispositifs Médicaux (BiDiM), m'a enthousiasmée. Au-delà ce que j'aime et ce que l'université offre et que je n'aurais pas pu trouver si j'étais restée dans le privé, c'est la possibilité en parallèle de mon activité de recherche, de m'investir dans d'autres tâches. Si on souhaite se consacrer davantage à la formation ou participer à des initiatives collectives comme être membre d'un comité d'éthique, rentrer dans un groupe de travail sur l'éco-responsabilité, faire partie d'un CHSCT ou autre, on peut le faire et c'est plaisant.

  • Rencontrez-vous parfois des difficultés dans votre travail ?

A part le trajet pour venir qui me fatigue beaucoup car j’habite un peu loin, je dirais que la partie administrative de mon activité en laboratoire est par moment pesante. Je pense en particulier aux procédures liées aux commandes de produits que nous devons passer pour réaliser nos expérimentations. C'est beaucoup de temps, beaucoup d'investissement et cela peut s'avérer difficile de répondre au mieux aux sollicitations des membres de l'équipe.

  • Et dans 10 ans, où vous voyez-vous ?

A la retraite ! 

Plus sérieusement, j'aimerais rester dans cette équipe, dans laquelle je me sens bien et continuer à travailler en support de la recherche. Je voudrais aussi dans la dernière ligne droite de ma carrière, trouver un moyen de transmettre toute l'expertise que j'ai accumulée dans certains domaines très spécialisés pour en faire bénéficier les plus jeunes. Pourquoi pas mettre en place des formations ou des ateliers pour passer le relais et que cela perdure après mon départ. C'est vraiment important pour moi. 

  • Qu’est-ce que le département STS vous apporte au quotidien ?

Faire partie du département, c'est une fenêtre ouverte sur le fonctionnement de notre université. Cela permet de mieux comprendre ses rouages et les politiques qui sont élaborées au niveau de la gouvernance de l'établissement et de faire davantage circuler l'information. Comme l'université reste une entité un peu abstraite et un peu éloignée pour nous qui sommes en laboratoire, avoir le département comme interlocuteur intermédiaire cela donne une incarnation et personnalise l'institution : on connait l'équipe de direction, on les voit au quotidien, on sait à qui s'adresser et cela facilite grandement les choses.

  • Et pour terminer, une anecdote de recherche ?

Peut-être une anecdote lors d’un congrès scientifique à l’étranger quand j'étais jeune. On en parle très souvent avec Marie-Christine Durrieu, co-directrice du département STS, avec qui j'ai fait ma thèse et qui dirige aujourd'hui mon équipe au CBMN. On devait participer à un congrès en Italie toutes les deux et c'est Charles Baquey, le directeur de notre unité de l'époque, qui devait nous y amener en voiture. Nous étions logés en famille chez un de ses collègues. Ils habitaient dans une cité dans lesquelles toutes les maisons se ressemblaient. Pour casser la vitesse de circulation, il y avait des pots de fleurs disposés en quinconces. Comme Charles Baquey avait dû rester au congrès, c'est Marie-Christine qui nous a ramenées. Pour qu'on trouve bien la maison de son collègue, il nous avait dit "vous verrez, c'est la maison devant laquelle il y a un pot de fleurs". Sauf que des pots de fleurs, il y en avait à tous les coins de rue ! On s'est complètement perdues, et on a tourné pendant un temps infini avant de trouver le logement ! On a beaucoup ri et on en rit encore !

Encadré - Série "Un métier, un portrait - dans les coulisses de la recherche"

Si la recherche est produite avant tout par les chercheurs, reste que pour lui permettre d'exister et de progresser, c'est tout un ensemble de personnels qui lui sont nécessaires. Du laborantin au gestionnaire administratif, du vétérinaire au personnel de laverie, en passant par les ingénieurs de recherche, les chargés de communication ou encore les project managers, ils sont nombreux et nombreuses à permettre à la science de se faire.

Afin de faire découvrir ces métiers et les personnes qui les font plus ou moins dans l'ombre, le département STS a lancé sa série "Un métier, un portrait - dans les coulisses de la recherche".

A lire ou à relire : le premier épisode "Le coeur du laboratoire".

Interview réalisée par Alexandra Prévot et Clémence Faure

Crédits photo - Alexandra Prévot et Clémence Faure, département STS, université de Bordeaux